Rencontres

Lucille Boitelle

 Peintre Ornemaniste 

Lucille Boitelle, artiste ornemaniste, nous parle de son art décoratif où papier peints, décors panoramiques
et tissus prennent vie sous ses pinceaux. Elle propose des créations uniques, qui marient tradition
et innovation où chaque projet narre une histoire singulière.

 

Quelles ont été les grandes étapes de votre parcours ?

Je grandis entre Reims et la Picardie et je fais de ce paysage modelé par la grande guerre et la désindustrialisation, le territoire de mes explorations. C’est un temps infini à observer, à collecter, et à dessiner. Enfant sage et débrouillarde, on me laisse explorer les champs, la forêt, construire des cabanes et tailler de petites figurines dans le calcaire… Si bien qu’assez naturellement j’organise mes études autour du travail de la matière. Je passe un bac art appliqué, et me forme au design industriel comme au design textile. Après Lille et Marseille, je m’installe à Paris pour un stage de fin d’études chez Kenzo. Je travaille ensuite au sein du studio tissage de la Maison Pierre Frey. Pendant près de 5 ans, j’apprends auprès de mes pairs, à construire de grands dessins, à défendre une collection comme à soigner mes colorations. Je me lance à mon compte en 2017, animée par la volonté de conter des histoires qui m’appartiennent au travers de décors signatures, résolument modernes et peints à la main.

L’ameublement et les arts décoratifs ont-ils toujours été pour vous une évidence ?

Une évidence peut-être pas, mais, en y réfléchissant aujourd’hui, je perçois à quel point cela s’est installé tôt dans l’enfance. Les vitraux de Chagall, la série Jazz de Matisse, l’odeur si particulière de la térébenthine ou le goût pour l’architecture art déco… tout cela m’accompagne depuis très longtemps ! Ce sont des choses que l’on cultive de manière inconsciente jusqu’au jour où … tout semble s’aligner. Ce jour-là, l’évidence c’est qu’au grand jamais nous n’aurions eu envie d’autre chose que de déployer sa pratique dans cet univers-là.

Qu’est-ce qui vous anime dans votre métier de peintre ornemaniste?

Spontanément je pense à la joie que me procure l’idée de conter sans cesse de nouvelles histoires ! Mais les idées se bousculent, et je pense aussi au plaisir que j’ai d’étayer mes sujets en occupant les musées et les bibliothèques. Je pense à cette « main » si particulière, cette manière d’étirer la peinture, de jouer avec les transparences, et à la saveur de ces temps longs et solitaires que représentent le fait de peindre. Je pense à la concentration que cela demande, comme l’on retient son souffle lorsque l’on pose son pinceau sur le papier, et comme on se sent parfois vivant à douter, puis finalement réussir à produire cette pièce-là. Et puis me vient aussi le charme des rendez-vous à l’atelier durant lesquels je mêle aux présentations de collection, une multitude de petites esquisses ou recherches à venir… Ce métier, je ne cesse de le modeler au gré de mes envies et de mes rencontres, c’est une incroyable richesse !

Vous entretenez une relation très particulière avec la peinture, la couleur, mais aussi
avec la matière. Comment travaillez-vous le dessin en fonction de son support final ?

C’est une question compliquée ! En réalité, le choix du support final, qu’il s’agisse de papier-peint, de tapis, de tissus ou de tout autre matière n’intervient que très rarement dans ma manière d’imaginer un dessin. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est le récit que je propose au client. J’aime pouvoir servir à ses côtés une même idée du projet décoratif, être à l’écoute de ses envies, de ses aspirations, et voir comment, ensemble, nous pouvons créer quelque chose de tout à fait singulier. Le geste que je déploie dans ma peinture, les couleurs que je choisis, la matière ou le support que l’on sélectionne … tout est là pour incarner avec autant de délicatesse possible cette histoire. Techniquement cela demande de savoir adapter son dessin aux contraintes de chaque matière. Pour y parvenir, j’ai mis en place un processus créatif qui doit beaucoup au cinéma d’animation, pour lequel comme sous banc-titre tous les éléments sont peints séparément. Travailler ainsi me permet d’aller très loin dans le sur-mesure.

Vous avez initié des collaborations avec d’autres artisans, d’autres matières.
Pouvez-vous nous parler de cette approche ? Avec quel Artisan/Artiste
de Collection Latil aimeriez-vous collaborer ?

Penser que nous pourrions tout faire seul, cloîtrés dans nos ateliers m’a semblé à un moment donné aussi effrayant que terriblement appauvrissant. Alors quand, courant 2023 je prépare ma participation aux « Rendez-vous de la Matière », je profite de cet événement pour engager l’intégralité de ma démarche dans une dynamique ensemblière. J’initie alors le projet DIALOGUE et invite trois studios à travailler à mes côtés au regard de leurs matériaux de prédilection : Studio Ler pour la lave émaillée, Larsen pour la broderie, et Studio Audrey B. pour la marqueterie de cuir. Autour d’un même dessin, ce projet est une invitation à « faire ensemble » et une manière de mutualiser nos savoirs pour porter le récit jusqu’au cœur de la matière. Quant aux artistes ou artisans avec lesquels je rêve de collaborer chez Collection Latil : tous ! Je suis d’une curiosité insatiable, j’ai toujours envie d’expérimenter ce que je ne connais pas ou pas assez ! Mais si je ne devais en choisir que deux je dirais Sonja de Monchy, pour sa pratique du raku et la Manufacture Robert Four pour la tapisserie. Quelque chose m’attire entre le hasard de la cuisson au feu et l’interprétation des images par le fil.

Peinture Nabis, cinéma… vous sources d’inspiration sont foisonnantes, votre style éclectique et pourtant très cohérent. Qu’est-ce qui lie toutes vos réalisations ?

J’imagine que si les sources sont aussi foisonnantes que variées, elles nourrissent toutes, d’une manière ou d’une autre, une vision définitivement personnelle et incarnée. La référence ne m’intéresse que parce qu’elle dit quelque chose de mon propre regard sur le monde, sur ce qui m’émeut, ce qui m’amuse, ce qui me questionne … Si bien qu’au fil du temps certains sujets comme le jardin, le rêve, le mouvement du vent, certaines couleurs ou certaines matières sont devenus une signature.

Vous évoquez l’histoire, les histoires que racontent vos motifs.
Quelle est la place de la narration dans votre travail ?

C’est l’essence de mon travail ! Imaginer des histoires me permet, chaque année, de donner vie à de nouvelles collections et de les incarner pleinement. C’est qu’à mes yeux, chaque motif, chaque panoramique est une véritable petite œuvre de fiction avec ses protagonistes, ses lumières, ses rebondissements et bien sûr ses décors. Rien ne me ravit plus que de conter ces histoires de papier à mes clients. Eux-mêmes les complètent, se les approprient, y voient d’autres choses. Dans une collection, ou dans un ensemble, le récit s’hybride. J’aime l’idée qu’une petite histoire en rejoint une plus grande et ainsi de suite.

Quels types de collaborations proposez-vous à vos clients ?
Comment les accompagnez-vous ?

Ma clientèle est exclusivement professionnelle. Auprès d’éditeurs tels que Pierre Frey, Larsen ou Casamance mais aussi d’architectes comme le studio Chloé Nègre, je travaille aussi bien sur présentation de collections personnelles qu’en sur-mesure. En accompagnant ces équipes sur le long terme, j’engage mon œil, ma main et mon cœur pour inscrire le projet dans une identité, un récit, une vision contemporaine de l’art décoratif.

Quels sont vos axes de développement, vos envies ?

D’un point de vue créatif, je suis toujours en quête de nouveaux supports à explorer. En ce moment j’aimerais dessiner une collection de tapis, imaginer une série de vases émaillés et peindre de très grands panoramiques… Et puis pour la première fois j’envisage aussi de créer des pièces uniques, comme de petites percées dans l’espace habités. D’un point de vue plus stratégique, j’aimerais développer mon activité à l’export sur les marchés anglais et américains.

Comment s’est passée la rencontre avec Collection Latil, et pourquoi avoir rejoint la Collection ?

J’ai rencontré Olivia, lors du salon Les Rendez-vous de la Matière, et je me souviens avoir été profondément touchée par sa douceur et son expertise. Rapidement, nous nous sommes revues à l’atelier et c’était passionnant. Rejoindre Collection Latil c’est pour moi choisir une équipe de confiance pour accompagner le développement de mon activité, une équipe d’une incroyable énergie et propice à de nouvelles synergies.

Photos Atelier –  ©Alexis Vettoretti

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