Veronese
Éditeur fabricant de pièces d’exception en verre de Murano
La Maison Veronese, fondée en 1931 à Paris, incarne l’essence même de l’art du verre de Murano, depuis l’âge d’or de l’art décoratif parisien jusqu’aux designs contemporains les plus innovants. Entretien avec Ruben Jochimek, directeur artistique de cette Maison combinant passion, savoir-faire séculaire et innovation.
Veronese est une histoire familiale. Est-ce le cas depuis la création de la Maison en 1931 ?
Veronese a été fondée par Monsieur Marcel Barbier en 1931. Il était passionné par l’artisanat de Murano et, alors qu’il cherchait de nouvelles idées pour le marché français de la haute couture pendant la période des arts décoratifs, il a importé cet art à Paris. En 2009, mon père, un artiste lui-même doté d’une expérience significative dans le domaine de la haute couture, a racheté Veronese. C’est l’esprit d’entreprise de mon père, son amour du dessin et du travail en atelier, qui l’ont poussé à se lancer dans cette aventure, qui est devenue organiquement une entreprise familiale. Depuis lors, nous avons continué à faire avancer les idées originales d’innovation et de collaboration de Veronese.
Quel âge aviez-vous quand votre père, Freddie Jochimek, a repris Veronese, et pouvez-vous nous raconter cette transition et sa vision ?
J’avais 30 ans. Mon frère et moi étions chacun en poste, moi dans l’audiovisuel, lui dans la finance. Nous avons commencé à nous intéresser au projet de notre père. À l’accompagner de-ci de-là. Puis les projets, les possibilités, les partenaires, les clients, l’univers et la magie de Veronese et de Murano nous ont passionnés, et happés ! On a conservé la mission et la vision d’origine : celle de connaître et de comprendre les savoir-faire de chaque atelier de Murano et de les faire dialoguer avec les bons projets.
Comment vous répartissez-vous les rôles ?
C’est assez simple, car nous sommes sur des sujets très différents. Je m’occupe de la direction artistique, du positionnement de marque. Mon frère, Jonathan a la partie administrative, et de la gestion de production. Notre bureau d’études, avec trois designers, permet d’apporter de nouvelles idées, de dessiner les projets. Nous avons une personne au commercial, et une à deux personnes à l’atelier. L’aspect marketing avait été laissé en jachère, et c’est mon épouse qui l’a repris. Elle aussi s’est fait happer par la magie !
Quelles ont été les grandes étapes de la maison depuis la reprise en 2009 ?
Veronese a plus de 90 ans, et à chaque nouvelle direction, il y a eu un nouvel élan. Dans les années 70, Veronese a beaucoup travaillé pour les institutions, les ambassades, les palais. Au début des années 2000, l’entreprise a pris le virage du design. À la reprise en 2009, ce virage est bien enclenché, mais nous avons voulu rester sur le chemin haut de gamme, du collectible design, sur des objets inattendus, des collections qu’on ne retrouverait pas sur le marché plus grand public, car l’objet est directement lié à l’art séculaire de Murano. Chaque pièce, chaque collection raconte une histoire unique, un savoir-faire spécifique. Une grande étape pour Veronese depuis 2009, a été l’installation dans notre nouveau lieu en 2017. Nous sommes passés d’un showroom assez classique, dans lequel nous étions depuis 1953, à un grand espace, plus libre, plus ouvert. Ça nous a permis de mettre tout le monde à l’aise : l’équipe, le stock, l’atelier, mais aussi les visiteurs et nos clients, et de présenter nos collections en situation… Ce déménagement nous a permis d’installer notre univers de marque, de regarder les pièces différemment, de les aborder avec un nouveau regard. Cet espace nous permet aussi de recevoir, de partager des moments d’échange. C’est primordial pour nous. L’hospitalité est l’une des valeurs phares de la Maison. Nous aimons les rencontres. Elles permettent de tisser des liens durables, et bien souvent, d’imaginer de beaux projets.
Quel est votre rapport aux artisans de Murano ?
Murano, est un tissu industriel d’une multitude d’ateliers. Il faut s’imprégner et comprendre son fonctionnement. Les artisans italiens ont une façon de travailler très « éclatée » sur un territoire géographique restreint, et insulaire : chacun a un savoir-faire, une technique, voire, un outil spécifique, mais tous travaillent en réseau, en collaboration fluide et transparente sur des projets partagés. Murano, c’est aussi un écosystème protéiforme, mouvant, certainement pas figé dans le temps. Il y a de tout petits ateliers et des plus grands. De très anciens et de tout jeunes. Chacun avec leur spécificité, leur magie. Il faut être curieux. Il faut pousser les portes, ce que mon père a beaucoup fait à la reprise en 2009. Alors, on découvre des savoir-faire, des couleurs, on pense à des projets, on comprend les méthodes… Et la relation se crée au fil du temps, de plein de façons différentes. C’est une relation de respect mutuel et de confiance, de travail en bonne intelligence. L’île est un atelier géant dans lequel on va choisir de travailler avec tel ou tel outil exceptionnel.
Pouvez-vous évoquer votre relation aux pièces développées ?
Lorsque je suis sur place pour suivre la réalisation d’une pièce, je suis hypnotisé par le travail des artisans. Je pourrai rester spectateur des jours entiers. À chaque voyage, depuis 14 ans, je découvre une nouvelle technique, une nouvelle méthode pour obtenir une nuance. C’est fascinant. Et quand on reçoit la pièce à Paris, dans l’atelier, il y a beaucoup d’appréhension avant de la déballer, de l’excitation, aussi. Beaucoup de fierté et de satisfaction quand le résultat nous plaît. Et s’il ne nous convient pas… de la frustration, et toujours l’énergie nécessaire pour retravailler, chercher encore !
Comment est-ce que vous travaillez avec les architectes sur des projets de très grande ampleur ?
Un projet de grande ampleur, par sa technicité, ou sa taille, est développé de la même façon qu’un projet plus classique. Il y a deux façons d’aborder un développement : soit un architecte d’intérieur ou un décorateur a imaginé une pièce, par exemple un lustre monumental pour l’atrium d’un grand hôtel, et nous propose un dessin, car il connaît notre expertise et sait que nous pourrons réaliser sa pièce. C’est le même principe si le projet est une lampe de table pour un particulier. Soit l’architecte a un projet à réaliser pour un atrium, ou besoin d’une pièce pour la master bedroom d’un particulier ; il nous soumet les inspirations, les couleurs, les textures, les matériaux, les goûts et préférences du client, les œuvres d’art qui habilleront l’espace… Et il nous demande de lui faire des propositions de créations. Quelle que soit l’ampleur du projet, nous travaillerons sur des propositions issues de nos collections, ou sur des nouveautés. Les collaborations avancent dans le dialogue. De façon plus pragmatique, une fois le design évoqué, nous faisons une étude de faisabilité, nous abordons la question du budget avec un pré-développement qui permet un chiffrage plus précis. Une fois validé, on termine la phase de développement et la mise en plan pour les parties métalliques, électriques, et les éléments en verre. Certains projets sur mesure n’incluent d’ailleurs pas du tout de verre, mais les « phases-projet » sont similaires.
Quel est le premier designer avec lequel vous avez collaboré lorsque vous avez pris la direction artistique de Veronese ?
C’est une collaboration qui était déjà en cours à la reprise de l’entreprise, en 2009, avec Chantal Thomass. C’était passionnant et très enrichissant de voir son univers extrêmement féminin appliqué au verre de Murano. Mais la première collaboration que nous avons initiée, c’est avec Tal Lancman et Maurizio Galante qui ont dessiné les collections Corail et Anémone. Cette dernière est une collection très importante pour nous, avec cette idée de briser la barrière entre l’homme et l’objet, la possibilité de venir toucher les drapeaux de verre du luminaire.
Comment avez-vous rencontré Collection Latil, que trouvez-vous intéressant dans cette démarche ?
Nous nous sommes rencontrés grâce à Charlotte Biltgen. J’ai trouvé la démarche très originale et — au risque de paraître un peu terre à terre — le business model transparent et honnête. Le fonctionnement au forfait, tout en laissant une grande liberté d’action et de prises de contacts directs, est aligné avec ce qu’on essaie de proposer avec Veronese : générer des rencontres. On ne sait jamais où une rencontre peut mener, mais l’échange est très important pour nous. L’environnement, les personnes et les projets présentés par Collection Latil autour des savoir-faire sont intéressants, complémentaires et cohérents. Je pense que cet espace peut être un beau véhicule pour de belles rencontres.
Retrouvez également Veronese dans les espaces Collection et Carnet d’adresses.
Photos @Anne-Emmanuelle Thion, ©Véronèse, ©Pierrick Verny