Rencontres

Jeanne Vicerial

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Je suis arrivée à Paris il y a douze ans pour intégrer l’école Paul Poiret, une école de costumes de théâtre et de cinéma. J’y ai appris des techniques traditionnelles et artisanales : le tailleur coupe-à-plat, le flou, la corsetterie… mais aussi le sur-mesure et le travail autour de la psychologie du personnage.

J’ai ensuite intégré l’école des Arts Décoratifs en design vêtement, pour développer l’aspect créatif de mon travail et connaître les ficelles du prêt-à-porter.

Comment est née « Clinique Vestimentaire » ?

L’industrie de la mode est la deuxième industrie la plus polluante au monde. Clinique Vestimentaire est née d’une envie de repenser le vêtement différemment. J’ai essayé de trouver un entre-deux entre le prêt-à-porter et le sur-mesure : le prêt-à-mesure !

J’ai également découvert avec passion les tissages musculaires sous la peau. J’ai passé un an à tisser des muscles et à faire une première collection appelée « 466 km de fils » (la longueur totale de fils utilisés). Les fils étaient alors récupérés chez les grandes Maisons de mode, je pouvais produire localement et sans chute grâce à un mono filament.

Vous avez même créé un outil ?

J’ai en effet développé une nouvelle technique appelée le « tricotissage ». C’est une technique déposée avec laquelle j’ai fait une thèse de doctorat pour développer un outil numérique qui me permette d’aller plus vite et de proposer du sur-mesure plus rapide.

Il faut imaginer qu’une pièce réalisée à la main me prend trois mois minimum. Toute la problématique était d’essayer de réintroduire le sur-mesure à échelle semi-industrielle, à faire de l’artisanat numérique. Cet outil me permet de concevoir un vêtement à partir de n’importe quel dessin. Il est également possible d’intégrer l’individu au début du processus de création. D’abord, je rencontre la personne et je prends ses mesures. Puis l’outil reprend les données que j’ai recueillies à la main, pendant des heures et des mois. Il est semi-automatisé, ce qui est très important car je peux l’arrêter quand je le souhaite, notamment pour redessiner mes créations.

Vous avez passé le premier confinement à la villa Médicis,
quel a été l’impact de cette résidence sur votre travail ?

C’était un moment très bizarre et hors du temps. Nous nous sommes très vite retrouvés enfermés alors que la France ne l’était pas encore. Enfermés dans un musée !

Pour échapper à cette ambiance pesante et alors que mes livraisons de fils étaient bloquées, j’allais chaque matin dans le parc cueillir des fleurs. Je travaillais ensuite sur mon propre corps, avec une composition par jour pendant 40 jours. J’ai finalement réalisé 250 clichés d’une collection éphémère qui n’existait pas ! Avec les fleurs, j’ai travaillé la couleur pour la première fois. J’en ai gardé certaines pour créer mes « Vénus ouvertes », des dissections anatomiques de femmes inspirées de leurs représentations dans les manuels d’anatomie.

Pourquoi le noir ?

Pour moi, le fil noir est un stylo. Je dessine en trois dimensions avec des fils de tailles différentes : de ceux de la taille d’un cheveu à des cordes plus épaisses. Les fils sont ma palette de crayons. La couleur affleure de temps en temps mais mon travail est très lié à la structure et le noir me suffit pour cela. En travaillant avec les différents fils, on peut créer des effets de matière, de lumière…. Je suis également une grande fan de Soulages.

Quels ont été vos derniers projets ?

J’ai réalisé ma première exposition personnelle aux Magasins Généraux. J’y ai réalisé des collaborations, des créations variées comme un parfum, des pièces sonores, des performances… J’ai abouti un projet avec Hervé Robbe joué à l’abbaye de Royaumont. Je travaille également avec le grand théâtre de Genève pour la pièce Atys, du chorégraphe Preljocaj avec Prune Nourry à la scénographie et aux décors. Je réfléchis également à la réalisation d’un film en 2022…

Imaginez-vous votre travail appliqué à d’autres domaines ?

Mon travail est très collaboratif, toujours né d’une rencontre. J’ai récemment travaillé avec Wendy Andreu, une artiste textile qui a développé d’une manière empirique un travail avec la corde. Nous avons réalisé une pièce croisée.

Je commence à penser au design, et peut-être à un retour à l’objet, à la tapisserie… Je pense aussi à la recherche textile et, pourquoi pas, à des propositions d’échantillons ou de textiles en développement pour des commandes spécifiques. Je reste toutefois très pointilleuse sur l’utilisation de ce procédé et l’éthique qu’il y a derrière chaque projet.

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