Manon Bouvier
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Je me suis orientée très tôt vers l’artisanat en m’inscrivant dans un lycée professionnel pour suivre un CAP ébénisterie à la suite duquel j’intègre la célèbre École Boulle. J’ai alors 17 ans.
En troisième année, je réalise un stage en marqueterie de paille, chez Maonia, entreprise d’ébénisterie d’art contemporain créée par Marine Fouquet. Je n’avais pas du tout envisagé cette spécialisation qui finit par être une révélation. Cette entreprise m’embauche à la fin de mes études. Je décide deux ans après, en 2016, de monter mon propre atelier avec la volonté de me démarquer des autres.
J’ai tout de suite essayé de trouver mon propre style, de savoir ce que je pouvais apporter de plus au monde de la marqueterie. Ma participation à la Paris Design Week en 2017 avec « Bayan », un meuble habillé en marqueterie de paille tout en nuances de bleu et à une exposition au Musée des Arts Décoratifs à Berlin m’a offert une belle visibilité. Les retours positifs m’ont donné confiance pour m’inscrire au concours du Meilleur Ouvrier de France duquel je sors médaillée en 2019. Je quitte ensuite Paris pour m’établir à Lyon et embauche mon premier salarié. Aujourd’hui, nous sommes quatre. L’histoire est lancée. J’aime transmettre. Être entourée d’une équipe motivée et passionnée est très important pour moi. Je viens d’ouvrir mon second atelier qui sera consacré à la création, le premier devenant davantage un showroom.
Qu’est-ce qui fait la spécificité de l’atelier Paelis, comment définir votre style ?
Nous travaillons dans l’approche de la lumière et surtout en utilisant le monochrome. Pour moi, trop d’informations sur une pièce de marqueterie gâchent sa finesse. Je propose des motifs simples et géométriques assez variés pour que la lumière se reflète dans tous les sens. La plus grande spécificité de mon travail est de jouer avec les perspectives. Je ne vois pas en 3D et ne perçois aucun relief. J’essaye de sublimer ce « défaut de fabrication » en imaginant ce que les autres perçoivent et j’essaie de le retranscrire.
Mon monde à moi est fait d’ombre et de lumière. J’aime faire créer des motifs qui donnent l’impression de sortir des panneaux de marqueterie. Je choisis et trie particulièrement la paille avec laquelle je travaille. Elle est étudiée sous toutes ses formes avec exigence et précision. Nous travaillons en circuit court et faisons attention à tout ce que nous utilisons à l’atelier.
La marqueterie de paille est née au XVIIe siècle, pouvez-vous nous donner
votre regard sur l’évolution du métier ?
La pratique classique et traditionnelle se perpétue mais les supports changent. Nous faisons par exemple moins de coffrets mais toujours beaucoup de mobilier et de panneaux muraux. C’est aux artisans de marqueterie d’aujourd’hui de dépasser la pratique classique en appliquant la marqueterie de paille sur de nouveaux supports ou d’utiliser d’autres techniques pour que le savoir-faire perdure. Les motifs des années 20 sont toujours très actuels, le soleil, les éventails, sont des motifs qui plaisent toujours.
Vous avez reçu le titre de Meilleure Ouvrière de France,
est-ce qu’il y a eu un avant et un après ?
C’est dur à dire, mais oui forcément. Grâce à mon titre, j’ai travaillé avec le Bocuse d’or. Cela m’a ouvert beaucoup de portes et a prouvé qu’Atelier Paelis était capable de faire autre chose que de la marqueterie de paille. Pour le concours, j’ai proposé un plateau et une boîte « Take Away » qui est maintenant exposée au Musée des Arts décoratifs de Paris comme référence de design. Nous avons réalisé quinze boîtes pour les quinze jurés. C’était un énorme défi technique à réaliser dans un laps de temps assez court d’autant que nous devions utiliser des matériaux 100 % d’origine végétale. Nous avons eu quatre mois pour produire les boîtes et trois semaines pour faire la marqueterie de paille sur les pièces réalisées. C’était un travail de conception totale.
De manière globale, la nomination de Meilleure Ouvrière de France m’a surtout donné confiance en moi et en mon travail et m’a apporté légitimité et visibilité.
Quels sont les projets emblématiques de l’Atelier Paelis ?
Le premier projet qui m’a réellement lancée est un paravent réalisé pour un projet d’Elliott Barnes. J’en ai créé un autre en trois modules avec Flavia de Laubadère qui met en lumière la paille de seigle noir et le bambou. Charlotte Biltgen a également fait appel à moi pour interpréter son dessin sur un paravent. Les dégradés de couleurs et le reflet de la paille rendent l’œuvre particulièrement lumineuse. Cette collaboration a été très riche.
Mon travail avec le Bocuse d’or pour concevoir un plateau et une boîte « Take Away » fut rythmé d’études et d’expérimentations très stimulantes. Enfin le projet des malles Louis Vuitton, très inspirant, m’a permis de faire évoluer ma carrière.
Quels sont vos projets à venir ?
Ils sont très variés. Nous travaillons en ce moment avec une boutique d’horlogerie joaillerie en Suisse pour réaliser des panneaux muraux et des kiosques de ventes pour lesquels nous reprenons des motifs classiques de marqueterie en y ajoutant une touche de modernité.
Les commandes pour les malles Louis Vuitton continuent à rythmer la vie de l’atelier. Chaque fin d’année, nous consacrons le mois de décembre à la création. L’atelier ferme pendant un mois pour continuer à innover. C’est un moment très important pour moi ainsi que pour les autres artisans qui travaillent au sein de l’atelier. Nous consacrons ce moment pour réfléchir à de nouvelles idées dans une démarche de création et de développement de la discipline.
Allier la marqueterie de paille avec d’autres matériaux fait partie de cette démarche créative. J’ai récemment effectué des recherches pour allier marqueterie et nacre. Chacune des matières sublime l’autre.
Travaillez-vous avec des architectes essentiellement français ou bien internationaux ?
Je travaille essentiellement avec des architectes français qui vivent et travaillent à l’étranger, des architectes parisiens qui ont déménagé pour vivre ailleurs, un peu partout dans le monde. Je travaille également beaucoup avec des architectes londoniens.
Les clients font appel à l’atelier parce qu’ils ont vu certaines de mes réalisations, grâce au bouche-à-oreille ou bien via Instagram. Ma notoriété résulte surtout de la réussite de mes projets. Aujourd’hui, mon travail est assez bien référencé. J’ai des échantillons dans de nombreuses Maisons de luxe et matériauthèques d’architectes.
Réalisez-vous des collaborations avec d’autres artistes ou artisans ?
Je collabore avec des artistes ou artisans sur des projets aboutis de façon à mettre réellement la marqueterie de paille en avant en l’alliant avec d’autres matières. J’ai marqueté une sculpture tout en creux et en arrêtes de l’artiste Thierry Martenon. Un véritable défi technique !
Ce que j’aime avant tout, c’est collaborer avec des designers. Ils me permettent de sortir de ma zone de confort et de me dépasser. Créer une pièce est très stimulant. Pour le paravent de Charlotte Biltgen par exemple, le motif était complètement vague, c’était très compliqué à réaliser mais c’est ce qui me plaît.
Grace à Charlotte Biltgen, lors d’une soirée dans son showroom, pour une Paris Design Week. C’était très intéressant et j’ai beaucoup apprécié l’approche de Collection Latil. J’aime cette volonté de mettre en avant et de communiquer sur des artistes et artisans de talent.
Atelier Paelis
34, rue Tête d’Or
69006 Lyon
contact@paelis.com
www.paelis.com
Photos – ©Florence Branchard, ©Thierry Martenon, ©Atelier Paelis, ©Samuel Cortes