Rencontres

Patricia Racine

Directrice artistique de la Manufacture Robert Four

Directrice Artistique de la Manufacture Robert Four, Patricia Racine partage ici son parcours international, de Kenzo à Tai Ping, et explique comment elle a apporté un nouveau souffle et un style singulier à cette institution emblématique des savoir-faire d’exception. En mêlant tradition et innovation, elle permet à l’art tissé d’Aubusson de toujours fasciner et inspirer artistes, architectes et décorateurs.

Quel a été votre parcours avant de rejoindre La Manufacture Robert Four ?

J’ai commencé par une école de commerce, puis j’ai travaillé six ans chez Kenzo, Groupe LVMH,  du temps de Kenzo Takada. Cette expérience m’a permis de développer un sens unique de la couleur et d’apprendre à apprécier les motifs et dessins, ainsi que les codes d’un business émotionnel. J’ai ensuite rejoint Tai Ping en tant que directrice artistique et business developer. En dix ans, grâce aux collections de tapis et de moquettes développés par le studio de design que j’ai initié, la marque s’est imposée à l’international, devenant influente sur son marché. Agir au service du retail comme du b to b font ma force aujourd’hui pour construire une vision pour Robert Four. La curiosité, le goût pour les rencontres dans tous les univers et toutes les cultures, m’ont donné la conviction d’exercer mon métier telle une passeuse entre ceux qui créent par les arts et ceux mettent en oeuvre par la matière, afin de ne servir que la beauté.

Quelles ont été les grandes étapes de la Manufacture avant votre arrivée ?

Avant d’être déclaré Manufacture à Aubusson en 1952, Robert Four était l’Atelier Simon André à Felletin et tissait les dernières tapisseries de Jean Lurçat de son vivant. A cette époque, la tapisserie n’est plus en vogue et les clients se fant rares. Pourtant Robert Four, jeune entrepreneur charismatique, a la conviction qu’en créant une collection d’artistes et en trouvant lui-même ses clients via sa propre force de vente, il peut se développer. Il poursuit son idée, et fait de la préservation de l’ensemble des gestes séculaire, un engagement familial. II ouvre par la suite une galerie à Saint-Germain-des-Prés à Paris, adresse fétiche des connaisseurs américains et des décorateurs férus de patrimoine. Dans les années 1990, Robert Four ouvre un atelier annexe à Ezzahra, près de Tunis, et transmets aux artisans tunisiens le geste exact d’Aubusson, tout en préservant l’intégralité de ses métiers à la Manufacture. L’un de ses fils, Pierre Olivier Four, veut  prolonger l’engagement et prend la présidence de la manufacture en 1996. Des projets remarquables comme le tissage de l’une des trois tapisseries Guernica de Picasso ou des commandes d’immenses tapis de Savonnerie pour des clients privés lui sont confiés, et font de Robert Four un partenaire idéal pour des productions exceptionnelles. Depuis 2012, la manufacture compile des collaborations artistiques qui l’inscrivent plus que jamais dans tous les secteurs de l’art, contemporain ou décoratif, à l’international. Aujourd’hui cet art tissé s’impose comme un savoir-faire rare, comme un outil exceptionnel avec des artisans experts, passionnés par leur métier, et un studio de création, Aux Verdures , à Paris.

Comment s’est produite la rencontre avec Pierre-Olivier Four ?

Pierre Olivier Four m’a dit récemment : “Notre rencontre était heureuse, nous avions besoin de vous et vous aviez besoin de nous.” Robert Four a été une référence pour la fabrication des tapis de Savonnerie mais avait délaissé ce secteur pour se consacrer à la promotion de la tapisserie d’Aubusson. Mon passage chez Tai Ping faisait de moi une experte dans la vente de tapis sur mesure auprès des architectes. Ma prochaine expérience devait être au service de la révélation d’un savoir-faire français rare. Je sentais que les métiers d’excellence deviendraient une valeur ajoutée incontournable. A ce même moment, celui qui deviendrait directeur de la Cité de la Tapisserie à Aubusson, Emmanuel Gérard, recensait tous les acteurs qui de près ou de loin s’impliquaient dans le secteur textile français. Son entremise auprès de Pierre-Olivier Four a eu une résonance immédiate et je l’en remercie encore. Réactiver le nom d’Aubusson et en faire le nec plus ultra du tapis et de la tapisserie est devenu mon obsession.

 

Qu’avez-vous apporté à Aubusson ?

Ma conviction, pour exercer mon métier, a toujours été de donner un sens au produit pour créer du désir. J’ai pensé qu’il fallait, tout en préservant l’identité patrimoniale, que les produits tissés d’Aubusson répondent à la perception, à l’image qu’ont les clients d’un tapis ou d’une tapisserie. Pourquoi le tapis d’Aubusson serait-il à tout jamais fait de dessins classiques et tissés fin ? J’ai commencé par sourcer de nouveaux fils comme le mohair, le lin ou des soies particulières pour valoriser la texture et donner l’aspect du confort. Qui seraient les artistes d’aujourd’hui qui m’aideraient à écrire une nouvelle histoire de la tapisserie pour Aubusson ? J’ai initié de nouvelles collaborations. Je voulais que l’on confie une commande à la Manufacture Robert Four pour ce qu’elle produirait de différent. J’ai alors développé un style reconnaissable. Ainsi Robert Four devient un label de fabrication, au delà d’être une marque. Et je savais que la réussite de cette mission serait conditionnée par l’adhésion des artisans de la Manufacture à ces ambitions.

Vous avez choisi d’intégrer de nouvelles matières aux tapis d’Aubusson.
Pourquoi, et quel regard portez-vous sur cette décision aujourd’hui ?

Les nouveaux fils créent de nouvelles textures, permettent d’innover, d’explorer, tout en préservant l’utilisation de fils naturels et sourcés à proximité. Le rachat de l’atelier Néolice à Felletin, dédié au tissage numérique pour des tapisseries d’une autre génération, est encore un magnifique champ d’exploration. C’est gratifiant de constater que l’art tissé d’Aubusson, sous le prisme de Robert Four, réserve encore de belles surprises et que de nouveaux fils compatibles avec cette nouvelle technique offriront de nouvelles matières tissées.

Vous collaborez régulièrement avec des artistes. Qu’apporte leur vision,
leur approche narrative et esthétique à la Manufacture ?

Les siècles passés  ont prouvé que l’implication des artistes a fait l’histoire, voire la notoriété d’Aubusson. Robert Four est autant une manufacture qu’une marque, et se doit d’afficher un point de vue artistique. Ce point de vue se perçoit dans le style de production, dans la mise en oeuvre, mais aussi dans le choix des artistes et dans la pertinence d’ajouter le prisme de la tapisserie à leur travail. La première collaboration avec l’artiste Pierre Marie pour la tapisserie Ras el Hanout a prouvé que la tapisserie au XXIe siècle avait sa toute raison d’être, grâce à la qualité artistique de son dessin. L’une des dernières collaborations autour de la tapisserie Studies into the Past de l’artiste Laurent Grasso, représenté par la galerie Perrotin, inscrit Robert Four comme une référence dans l’art contemporain. Les artistes renouvellent l’histoire graphique de la tapisserie ou du tapis par leurs visions personnelles et s’accordent à dire que la tapisserie apporte une nouvelle option à leur travail artistique.

Qu’est-ce qui vous anime dans votre métier ?

Jamais une expérience ne ressemble à la précédente. Cette diversité ne laisse aucune place à la lassitude. Développer un projet, répondre à une commande, c’est aussi permettre aux artisans (lissiers, teinturiers, cartonnier) d’exercer leur métier de main. C’est contribuer au renouvellement d’un savoir-faire artisanal, vivre au rythme des plus beaux projets dans le monde, et partager des moments avec les artistes autour de leur travail, tout en projetant la marque Robert Four vers un rayonnement international… Que demander de plus ?

Quels sont vos axes de développement, vos envies pour la Manufacture Robert Four ?

Notre studio de production reste à la disposition des projets spéciaux mais, pour nous rendre plus accessibles nous développons également des tapis prêts à être recolorés ou redimensionnés. Le temps est aussi venu de collaborer avec plus d’artistes, pour offrir un large choix de tapisseries, grâce à notre métier de tapisseries digitales Néolice. Au Salon de Milan 2024, nous avons présenté une première collection de poufs ottomans en tapisserie, signés Marie Victoire de Bascher .

Comment s’est passée la rencontre avec Collection Latil,
et pourquoi avoir rejoint la Collection ?

Je connaissais depuis longtemps Anne-Sophie Latil et son activité, dont j’ai suivi l’évolution incroyable. Elle a l’expertise du tapis et des marchés que nous ciblons, une combinaison rare. En imaginant lui confier une mission pour nous aider à étendre notre rayonnement, nous avons rencontré chez Collection Latil une équipe, tout aussi compétente, sympathique, comprenant nos exigences et rassurante dans son approche. Nous avons embarqué dans l’aventure…

 

Retrouvez également la Manufacture Robert Four dans l’espace Collection.

 

Photos : ©Nicolas Fauqué, ©Pierre Yovanovitch, ©Tadzio, ©Robert Four, ©Photoluxe, ©Jacques Pepion, ©Nicolas Heron, ©Courtesy Delvaux, ©Tanguy Beurdeley, ©Jeremie Leon, ©Mathieu Richer, ©Yann Deret

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