Rencontres

Samir Mazer

 Artiste Designer de surfaces d’exception


C’est une histoire de rencontre entre deux âmes : celle de l’artiste et celle du zellige. Découvrez le parcours singulier de Samir Mazer, artiste designer et directeur artistique d’Ateliers Zelij. Plongez dans sa passion pour l’expérimentation et la sublimation de cet art ancestral où tout commence avec la nature même de l’argile de Fes.

 

 

Quel est votre parcours ?

Je suis né à Tétouan au Nord du Maroc dans un environnement familial qui m’a appris le goût de la lecture, de la littérature internationale à l’histoire de l’art en passant par la géopolitique et les sciences. Tout m’intéressait, l’esquisse de cette émancipation intellectuelle exaltante m’a par la suite mené sur de nombreuses pistes d’études universitaires. De la biologie jusqu’à un passage aux Beaux-Arts de Casablanca, j’ai finalement trouvé refuge dans différents ateliers d’artisans marocains ; incapable de me conformer à un parcours académique et fasciné par cette intelligence de la main.

En quelle année avez-vous créé Ateliers Zelij ? Comment est née cette aventure ?

En 1995, je créé ma première société au Maroc spécialisée dans la création de mobilier. Son nom, « Zelij », car à mon sens ce matériau encapsule à lui seul la quintessence et l’excellence des savoir-faire marocains, le génie de la main de l’artisan. Vannerie, céramique, fer forgé, vitrail, j’investigue alors de nombreux savoir-faire encore très présents au nord du Maroc pour des développements de mobilier en petite série, sans pour autant croiser l’opportunité qui me permettrait de commercialiser ces premières collections. Cette rencontre, je vais la faire en 2000 en m’inscrivant à un master en Design Industriel à Toulouse. J’y rencontre Delphine Laporte. Elle est ma partenaire au travail et dans la vie, une complémentarité sans équivalent où mon esprit d’artiste dialogue avec celui d’une vision entrepreneuriale. En 2003, nous créons ensemble « Ateliers Zelij », suite logique de ma première expérience, avec la même volonté d’investiguer toute la richesse de l’artisanat marocain et de développer du mobilier. A ce moment-là, travailler le zellige en tant que matière était encore un rêve car je savais les Ateliers de Fes inaccessibles pour qui n’est pas introduit. Nous n’avions pas idée que ce chemin nous mènerait jusqu’à devenir spécialistes et principaux ambassadeurs de cette matière d’exception. Avec la mise au point de trames pré-assemblées, calibrées et faciles à poser puis, le développement de design produits en petites série, nous avons été sélectionnés dans la curation de Margriet Vollenberg sur le Ventura Lambrate de Milan en 2016, un tremplin incroyable qui nous a permis de rencontrer les plus grandes agences et nous a ouvert aux marchés internationaux.

Pourquoi avoir choisi le zellige comme support d’expression?

Le zellige m’accompagne depuis ma petite enfance à Tétouan et je garde encore le souvenir du parcours de ma maison jusqu’à l’école, un chemin intégralement orné de sous-bassements en zelliges, plus hauts que moi. Au-delà des motifs traditionnels qui font la réputation du zellige marocain, c’est la matière, avec sa capacité à réfléchir la lumière et sa sensorialité unique, qui m’interpelle et m’anime pour amener ce savoir-faire vers les nouvelles dialectiques que je construis aujourd’hui. En étant formé à la sculpture puis au design industriel, mon approche est à la frontière entre ces deux disciplines, non conventionnelle. Il me paraissait important d’investiguer le zellige marocain, et précisément la technique de Fes, tant les possibilités et ouvertures qu’il offre sont larges. Je voulais également bousculer l’approche traditionnelle, traditionnaliste avec l’évidence qu’il fallait sortir du lexique traditionnel, explorer de nouvelles brèches et donc trouver une nouvelle dialectique. La nuance des teintes et la nature même de l ‘argile de Fes, résultat d’un long processus de fabrication, apportent au zellige une richesse et une sensualité sans égale.

Pourquoi alors l’encombrer de normes avec un panachage de teintes et une diversité de formes où la matière perd son âme ?

J’ai toujours préféré travailler le monochrome pour suggérer toute la subtilité de la matière et la richesse de cette terre cuite ; mettre l’accent sur la matière en m’appuyant sur des formes géométriques les plus simples et les plus pures : noblesse de la matière et simplicité des formes. Ainsi, libre de ses codes esthétiques traditionnels, le zellige révèle sa sensualité première.  Dans cet exercice, deux paramètres essentiels accompagnent mon approche : une économie du geste par des formes épurées et une économie de la matière en réduisant au mieux les chutes. Pas de compromis, pas de place aux fioritures, pourquoi s’encombrer de lourdeurs quand la magie opère !

Vous êtes engagé dans la mise en lumière et la sauvegarde de cette technique, pouvez-vous nous expliquer votre engagement ?

 Je cherche depuis près de 30 ans à libérer le zellige de ses codes esthétiques traditionnels d’ornementation pour tenter de révéler sa nature profonde, à la fois archaïque et sensible. Il est pour moi un art, plus qu’un savoir-faire et révéler le zellige à sa vraie nature implique un cheminement de déconstruction vis-à-vis de cette tradition qui paralyse. Je cherche quelque part à m’en affranchir pour trouver la voie d’un possible renouvellement. Certes, je suis détaché de cette tradition du motif ornemental mais résolument ancré dans la force spirituelle de cet art. Toucher aux codes esthétiques traditionnels est un exercice périlleux. Pourtant la préservation n’est pas suffisante pour garder notre culture vivante, il ne suffit pas de continuer à reproduire ce qui a été merveilleusement fait. Au-delà de la maitrise d’un geste, d’un art, il est indispensable de continuer à expérimenter, comme l’on fait nos prédécesseurs, pour ouvrir de nouvelles voies, rester en contact avec le monde qui nous entoure. Expérimenter, c’est aussi la plus belle manière de transmettre.

Maintenant que les Ateliers Zelij sont bien installés, quelle direction avez-vous envie de prendre ?

Dans chacun des motifs dessinés pour Ateliers Zelij, il y a toujours eu en amont de la création d’un motif « standardisé » une approche artistique & expérimentale, une sorte de performance avec la matière, un espace de totale liberté qui voit naître des combinaisons, formes, textures improbables. Ensuite, ces combinaisons sont adaptées et tramées pour les sublimer dans la répétition d’un module. Accessibles, ces modèles permettent à nos clients prescripteurs de travailler en autonomie sur des motifs colorisables pour les ajuster à l’échelle et à la vision de leur projet. Aujourd’hui, je souhaite ouvrir cet espace d’expérimentation à de nouvelles opportunités comme ma collaboration avec Asteré en 2021, une collection capsule de papiers peints édités par Elitis ou encore la collaboration avec l’agence Ombre à qui j’ai ouvert les portes de mon univers pour la création de la collection Shimenawa. J’aimerai aussi développer les projets In Situ comme ceux commandées par Atelier 27 Paris où des œuvres se mettent en totale résonance avec un lieu. Cette matière a tant à dire, sa plasticité est unique notamment en la combinant avec d’autres techniques, tel que le moulage ou le ciselage. Ma dernière exposition au Salon Révélations Paris a justement permis de dévoiler ce chemin plastique. Des totems suggérant des corps en mouvement jusqu’à certains prototypes réalisés pour des projets d’exception ont permis de mettre en lumière cette direction et c’est ce champ des possibles que j’ai désormais envie de tracer.

Quel serait la collaboration artistique dans laquelle vous aimeriez vous lancer ?

L’espace d’investigation de mon atelier est devenu une contrainte. Mon atelier est fait de centaines de casiers recélant autant de pistes, motifs, textures, volumes, … Je rêve maintenant de les voir s’exprimer à une échelle plus grande, sur du mobilier ou des surfaces monumentales, et pourquoi pas en extérieur car la Nature est ma principale source d’inspiration.

Pourquoi avoir rejoint Collection Latil ?

Avec Delphine, nous suivons Collection Latil depuis ses débuts, intrigués par ce concept à la fois « exclusif & collectif ». Étant basés entre le Nord du Maroc et le Sud de la France, nous vivons certes dans un cadre de travail très privilégié mais parfois isolé de nos clients et prescripteurs. Nous ressentions depuis un moment le besoin de rejoindre un collectif sans pour autant prendre le temps de nous impliquer dans cette recherche. Cette rencontre avec Collection Latil s’est faite à l’occasion du lancement de notre collaboration avec l’agence Ombre. Comme une évidence tant nos ADN sont compatibles ! : une équipe à dimension humaine, une sensibilité à la matière, à l’excellence, et bien sûr un regard tourné vers l’international.

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